Le harcèlement scolaire : 2 romans ados, 1 roman adulte, 1 film d'animation

Longtemps subis, cachés, réduits au silence à l'image de ses victimes, les mots harcèlements et scolaires, avant de terrifier, étaient ignorés. Le mal et les conséquences qu'ils provoquent suffisent aujourd'hui à troubler enfants, parents, mais aussi enseignants. Il faut dire que de nombreuses et récentes affaires ont contribué à sa féroce réputation. Une mécanique implacable, des souffrances incommensurables, des vies brisées. Derrière l'engrenage, les violences, la honte et la solitude, les silences, l'impuissance aussi. À  partir de ce constat, qu'est-ce que cela dit de nous, de l'état de nos sociétés ?

Pour comprendre cette hydre, ce monstre à plusieurs têtes, trois romans et un film d'animation lus et vue récemment se sont invités dans cette chronique. Sous différents points de vus, le harcèlement y est décrit, décortiqué, ressenti dans un panel d'émotions qui ne peut laisser indifférent.

Mon préféré ? Sans qu'aucun ne soit un coup de cœur (et c'est pas grave, c'est pas un concours !) Chère Fubuki Katana, d'Annelise Heurtier se démarque. C'est peut-être dû aux traits de personnalité des personnages, la façon dont le harcèlement est abordé, à l'intrigue et au suspense maintenus, aux sous-histoires, à la grande histoire nipponne qui s'invite dans la petite aussi. Cela ne s'explique pas, cela se ressent. À  vous de trouver celui qui fera écho à votre sensibilité...

la littérature ados...

D'Annelise Heurtier j'avais lu il y a longtemps déjà Sweet Sixteen qui m'avait soufflé. Alors, quant au détour d'une étagère de la médiathèque, mon regard a croisé celui de la couverture colorée de Chère Fubuki Katana, un élan enthousiaste s'est emparé de mon cœur. Et comment vous dire l'état de ce dernier à la fermeture de ce livre ado aussi délicat que pudique ? Un mélange de colère, de surprise, de joie et d'apaisement aussi. Au sein du roman, le harcèlement est entouré par une culture japonaise rigide, asphyxiante, et avec laquelle les liens sociaux sont brouillés. Elle l'est également par la grande histoire qui invite le lecteur.ice à regarder ce qu' a produit la cruauté humaine en matière de discrimination et de reproduction, persécution. 

À chaque roman, Annelise Heurtier excelle à s'emparer de faits d'actualité, à leur donner vie sous les traits d'histoires réalistes et émouvantes. Malgré des passages distants et quelques longueurs, ce livre n'échappe pas à ce tensiomètre livresque. En offrant une histoire riche, avec un pont entre passé et modernité, la romancière a une fois de plus fait preuve d'ingéniosité. Le harcèlement y est habilement exprimé, son mécanisme décortiqué et ses conséquences aussi destructrices que prévu. Malgré cela, une lumière de positif au bout de ce long tunnel. Une lueur qui dit que parfois même le plus affreux apporte du positif ou en tout cas en aura peut-être le souffle de l'influence. Pour connaître celle d'Emi et de cette mystérieuse Fubuki Katana, rendez-vous à la fin du roman...

Une amie libraire m'en avait parlé en bien. En très bien même. Celui dont je parle s'appelle Invisible. Non pas L'homme invisible, mais Invisible tout court, à son grand désarroi. Car le collégien qui incarne ce personnage ne l'a pas toujours été. Ce pouvoir, il l'acquit bien malgré lui. Depuis un incident anodin. Alors, invisible il l'est devenu par la force des choses, par le refus des autres de voir. 

En multipliant les regards, l'auteur, Eloy Moreno, réussit un tour de force, celui de répandre l'empathie. Le personnage de chaque chapitre composé d'une ou deux pages plonge le lecteur.ice au cœur d'une bombe émotionnelle déstabilisante. Un jour dans la chambre d'hôpital de ce garçon vulnérable, un autre dans celle de son harceleur, encore un à l'hôpital, mais sous les traits de la mère du collégien cette fois. D'autres sous les voix de ceux qui ont détourné le regard. Les complices par procuration. Le mot n'a pas encore été prononcé, mais je parle évidemment ici de harcèlement. Scolaire précisément. 

Rythmé, métaphorique, efficace, Invisible, va droit au but, invitant les lecteur.ices à réfléchir, au passage, sur le mot harceleur. Le harceleur principal est-il l'unique acteur de ce qui est en train de se jouer ? La responsabilité n'incombe-t-elle pas aussi aux autres ? À ceux qui ont détourné les yeux, rigolé, fait semblant, participé de près ou de loin. Aux parents qui n'ont rien vu, ou pas su voir. Sans procès, Eloy Moreno dresse le bilan de l'effet de groupe et, avec bienveillance, la voix de chacun explique le comment et le pourquoi. D'un ton qui ne se veut ni juge, ni moralisateur, le roman tire son épingle par sa construction et sa rapidité de lecture qui le rend parfois asphyxiant. Le plus ? L'écho d'un avertissement : la complicité par le silence.

la littérature adulte...

Les larmes aux yeux, trois de mes copines m'ont dit "Lis ce livre, tu vas aimer. Mais attention, c'est intense !" Le temps de purger ma PAL de quelques livres, ce dernier est enfin arrivé entre mes mains pour n'y rester qu'une petite journée, le temps de la sidération. Cueilli par le monologue intérieur d'un père terrassé par la souffrance, les lecteur.ices sont immédiatement immergés dans une ambiance grave, celle d'une famille endeuillée et d'une marche blanche.

Vous parlez de mon fils est un livre sur la colère, l'incompréhension, la tentative d'explication d'un père dont la culpabilité est problème de conscience. Sa faute ? Son manque de sérieux, au début, face au harcèlement scolaire de son fils. Son impuissance surtout. Dans ce roman, Philippe Besson se place du côté du parent, se refait le fil de l'histoire pour interroger les mécanismes du harcèlement et les émotions qui en naissent. J'ai un peu regretté la vision parfois manichéenne de l'auteur qui contraste avec la multiplication des points de vue du roman Invisible d'Eloy Moreno justement. Si l'écriture de Vous parlez de mon fils, reste fluide et sans fioritures, elle a su me procurer les émotions escomptées, mais sans l'intensité attendue. 

Toutefois, là où l'auteur pour moi a excellé, réside dans l'explication, le choix des mots, simples, pour décrire des situations qui illustrent parfaitement la mécanique des harceleurs. Cela m'a causé de vifs souvenirs, pas d'enfance, mais d'adultes car si il existe des enfants harceleurs, il y en a aussi chez les plus grands. La description des situations, des humiliations, les mots employés sont, je pense, communs à tous. Celles.eux qui ont subi cette forme de violence savent de quoi je parle. Un roman qui remue donc, surtout si vous êtes parents, malgré que ce ne soit pas mon cas.

le film d'animation...

Bande annonce vue au cinéma, je m'étais promis de voir ce film. Quelques mois plus tard, en trouvant le DVD dans mon réseau des médiathèque j'ai enfin l'espoir de tenir ma promesse. 

D'un esthétisme réussi, le film d'animation de Keiishi Hara explore la thématique du harcèlement en territoire nippon sous les traits de six adolescents. Entre timidité, rejet et solitude, les ados vont pourtant se lier et former, pourquoi pas, une communauté. Si la touche fantastique apporte une lecture supplémentaire au thème, elle ajoute également une part de mystère et de suspense. Si Le Château Solitaire dans le Miroir est subtile et délicat, il souffre tout de même de longueurs. Toutefois, il prend son temps à poser ses personnages et ses intrigues, à poser son ambiance.

Touche après touche, les différents harcèlements et processus se dévoilent, révèlent les pressions subies, les conséquences, les traumas. C'est comme basculer de l'autre côté du miroir... Toute en poésie et bienveillance, Le Château Solitaire dans le Miroir s'attelle à la résilience à travers le pouvoir de la parole et de l'amitié. 

Un livre avant d'être un film !